venu de l'arrière-pays, je me présente à eux comme une preuve vivante que tout est possible. Rien ne me prédestinait à occuper les plus hautes fonctions de l'État.

Partir de rien, sans appui ni référence dans le grand Port-au-Prince ; seul le chemin de l'école peut permettre la réalisation de tels exploits. Je leur rappelle souvent ces adages : « L’effort fait les forts » et je crois que « S’il est quelque chose d’agréable et de méritoire sur cette terre, elle ne peut se trouver que dans l’éducation ».

Je leur dis qu'il est parfaitement légitime de nourrir de grandes ambitions politiques et de vouloir participer activement au développement économique et social de leur pays. Cependant, je les mets en garde : ils ne doivent jamais perdre de vue que la gestion des affaires publiques est un sacerdoce, bien loin d'être une source de privilèges indus ou d'enrichissement illicite, comme trop de dirigeants ou d'activistes le conçoivent aujourd'hui.

12. Sur la démocratie : Avec le recul, pensez-vous que la démocratie en Haïti est adaptée à notre réalité sociale et culturelle, ou faudrait-il envisager un autre modèle ?

Chaque fois qu’un interlocuteur aborde cette question, avec moi, je le ramène à la réalité des années 70 et 80, celle qui a marqué notre génération : arrestations arbitraires, tortures physiques, exécutions sommaires, pire encore, exils forcés imposés à tout citoyen osant manifester la moindre opposition au pouvoir en place. Seuls des apprentis dictateurs ou leurs thuriféraires pourraient affirmer qu’un régime où les libertés fondamentales et les droits civils, politiques et sociaux des citoyens sont garantis serait « inadapté ».

Enex Jean Charles, dans l’une de ses interventions, a livré cette confidence révélatrice : « Les constituants de 1987, de bonne foi ou naïvement, avaient cru que tous les acteurs politiques haïtiens étaient des démocrates convaincus. » Force est de constater qu'il n'a pas tout à fait tort. La crise politique qui mine les fondements de notre nation depuis bientôt six longues années est la preuve vivante que les élus des quinze dernières années éprouvent une réelle difficulté à gouverner dans le cadre constitutionnel.

La situation actuelle est la conséquence directe du non-respect systématique des échéances électorales de 2011, 2013, 2017, 2019, 2021 et 2023. En quinze ans, le pays n’a organisé qu’une seule compétition électorale. À qui la faute ? À la Constitution et au régime démocratique qu'elle a institué, ou bien à nos présidents élus au suffrage universel direct ?

L’accaparement des prérogatives législatives du Parlement, formellement interdit par la Constitution de 1987, témoigne de la persistance, dans l’esprit de certains dirigeants, des réflexes hérités de la dictature des Duvalier. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer la multitude de décrets, ayant force de lois, pris en Conseil des ministres au cours des dernières années. Nulle part la Constitution n’habilite le pouvoir exécutif à légiférer par décret en l’absence du pouvoir législatif. Cette pratique constitue une déviation grave de l’esprit et de la lettre de notre charte fondamentale.