ce théâtre de l'absurde institutionnel est une expérience que je ne souhaiterais, pour rien au monde, revivre.
6. Quelle est, selon vous, votre plus grande réalisation – celle dont vous êtes le plus fier ?
Servir mon pays en tant que Président provisoire de la République fut une expérience profondément
enrichissante. La tâche était exaltante, mais les contraintes se révélèrent immenses. La relance
du processus électoral initié en 2015, mission fondamentale de cette transition, exigeait l'accomplissement
de nombreuses formalités qui ne dépendaient pas exclusivement de l'Exécutif. Tout retard dans leur mise
en œuvre risquait de compromettre l'échéancier prévu. C'est précisément ce qui arriva lorsque la Chambre
des députés, pourtant signataire de l'accord du 5 février 2016, rejeta la déclaration de politique générale
de Fritz Alphonse Jean, le Premier ministre nommé. Il m’a fallu recommencer le processus et choisir un
nouveau Premier Ministre tel que l’exige la Constitution.
Les décisions les plus urgentes et les plus opportunes que mon administration devait prendre pour
appliquer les clauses essentielles de cet accord se heurtaient systématiquement à l'hostilité farouche
du groupe majoritaire à la Chambre. Celui-ci était essentiellement constitué de membres et alliés du Parti
du Président Martelly (PHTK)
Par ailleurs, certains de nos partenaires financiers internationaux exprimaient ouvertement leur défiance
à mon égard. Ancien ministre du président Aristide et membre du Cabinet particulier du président Préval,
je ne pouvais, selon eux, être neutre ni digne de confiance pour organiser des élections honnêtes, crédibles
et démocratiques. Ma décision de créer la Commission Indépendante d'Évaluation et de Vérification Électorale
(CIEVE) fut perçue comme une déclaration de guerre, tant par certaines missions diplomatiques que par les
proches du président Martelly et de son candidat. Certains sont même allés, jusqu’à me dire, si la Commission
recommanderait la reprise des élections, je ne devrais pas compter sur leur appui financier.
Cette commission n'était pourtant pas une invention sortie de nulle part. Pour apaiser les violentes manifestations
de rue ayant suivi la publication des résultats du premier tour de la présidentielle, le président Martelly lui-même
avait mis en place une Commission présidentielle spéciale. Celle-ci, dans son rapport, avait confirmé l'existence de
graves irrégularités assimilables à de la fraude et avait recommandé une évaluation approfondie avant toute reprise
du processus.
Cette recommandation était d'ailleurs devenue une clause centrale de l'accord du 5 février et elle était aussi,
ardemment, réclamée par les autres candidats comme condition indispensable à leur retour dans la course.
La réaction négative de certains partenaires internationaux à l'annonce de la création de la CIEVE provoqua, dans
l'opinion publique nationale, un formidable élan patriotique. Ils furent nombreux, mes compatriotes haïtiens, toutes catégories