Jocelerme Privert

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Le débat sur la fin du mandat du Président Moise ne date pas d’aujourd’hui. Elle avait été agitée au lendemain même du constat fait par le Président lui-même le  13 janvier 2020 de la caducité du parlement.
Les élections des mois d’aout et d’octobre 2015, les seules organisées durant tout le quinquennat 2011-2016 du Président Martelly étaient à la fois présidentielles, sénatoriales, législatives, municipales et locales.


Ces élections avaient, à un certain niveau, abouti à rendre le parlement fonctionnel au deuxième lundi de janvier 2016 et doter les collectivités territoriales de nouveaux organes. Ce qui était loin d’être le cas pour le successeur du président Martelly dont l’investiture était prévu pour le 7 février 2016. Elles ont été reprises et complétées à la fin de l’année 2016 (20 novembre 2016). La prise de fonction du Président élu s’est finalement effectuée le 7 février 2017. La durée des mandats de tous ces élus doit être vue et analysée à la lumière des articles 92.1, 95 et  134.2 de la constitution et de l’article 239 du décret électoral du 2015.


Les différentes tentatives de négociations, entre le pouvoir et l’opposition politique, conduites sous la médiation de la représentante spéciale du Secrétaire général et cheffe du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), n’ont pas été concluantes. Prenant note de l’aggravation de la crise, suite à l’échec de ces négociations, la Cheffe du B INUH s’est ainsi exprimée, en ces termes le 22 février 2020, par devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, « c’est bien dommage qu’il ne s’est pas dégagé, entre les acteurs politiques haïtiens, un consensus autour de la durée du mandat du Président Moise ».


Actes et actions frisant le retour à la dictature. Les actes et actions entreprises, par le Président Moise, depuis le dysfonctionnement du parlement, font craindre le risque d’un retour aux heures sombres du duvaliérisme et des régimes militaires. C’est à la Petite Rivière de l’Artibonite qu’il s’est laissé aller à faire cette grave déclaration « map voye lame Dayiti nan bouda yo ».


Les risques sont énormes :
La prédisposition des autorités policières, supportées par les gangs armés, à réprimer tout mouvement de contestation de la population contre l’insécurité.
Certaines dispositions ou mesures, adoptées par le gouvernement sous forme de décret, sont des signes avant-coureur des vagues massives de répression et de persécution politiques telles que vécues par le peuple haïtien durant les trente ans de la dictature des Duvalier et des gouvernements militaires qui ont suivi.


Les récentes déclarations publiques de Monsieur Gonzague Day, assurant selon les dires du Premier Ministre un intérim au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, ne doivent pas être prises à la légère. Monsieur Edner Day, son père, est un ancien baron duvaliériste figurant parmi les plus redoutables tortionnaires de l’ère Duvalier, impliqués dans de multiples cas de meurtres et d’assassinats d’opposants et de prisonniers politiques.


Ce spectre grimaçant du retour à un ordre ancien et dépassé qui remet en question les libertés fondamentales garanties par la constitution de 1987 n’a plus sa place dans l’Haïti d’aujourd’hui. Sa persistance mènera tout droit vers un chaos généralisé bien pire que ce qui se passe aujourd’hui dans certains pays d’Afrique (Centre-Afrique, le Mali, la Somalie).


Une vacance présidentielle imminente sans une solution constitutionnelle


Le débat sur la fin du mandat du Président Moise est loin d’être fermé. Il continue d’alimenter les conversations. Elle est et sera, de toute évidence, au centre de toute initiative de négociations politiques pour une sortie de crise. Le dysfonctionnement du Parlement et le caractère illégitime du Gouvernement de Monsieur Jouthe, rendent hypothétique, toute solution constitutionnelle et institutionnelle à une éventuelle vacance au niveau de la présidence. Le Président de la République, selon les stipulations de l’article 134.1 de la Constitution, est élu pour un mandat de cinq (5) ans. Des situations exceptionnelles cependant peuvent empêcher un Président légitimement élu de compléter pleinement son mandat constitutionnel. Ces situations sont clarifiées et traitées par deux dispositions de la version amendée de la Constitution de 1987. Il s’agit de :


Une impossibilité temporaire. La Constitution admet, en son article 148, que le Président de la République peut se trouver dans l’impossibilité temporaire d’exercer sa fonction. Ledit article, en conséquence, stipule « Si le Président se trouve dans l’impossibilité temporaire d’exercer ses fonctions, le Conseil des Ministres sous la présidence du Premier Ministre, exerce le Pouvoir Exécutif tant que dure l’empêchement ».
Une vacance Présidentielle. La vacance présidentielle est très clairement explicitée à l’article 149 qui stipule :  « En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres, sous la Présidence du Premier Ministre, exerce le Pouvoir Exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président ».


« Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République pour le temps qui reste à courir à lieu soixante jours au moins et cent vingt jours au plus après l’ouverture de la vacance conformément à la Constitution et à la loi électorale »
Tout empêchement, qu’il soit temporaire ou permanent, dans l’exercice de ses fonctions, intervenu entre la première et la troisième année du mandat d’un Président, renvoie au Conseil des Ministres. C’est la seule instance habilitée, sous la Présidence du Premier Ministre, à assumer le Pouvoir Exécutif.


Le recours à l’Assemblée Nationale pour combler un vide éventuel au niveau de la Présidence est précisé au deuxième alinéa de l’article 149. Ledit article est ainsi libellé « Dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée Nationale se réunit d’office dans les soixante jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau Président Provisoire de la République pour le temps qui reste à courir ». Tout départ anticipé ou précipité du Président, avant cette échéance, relève donc du Conseil des Ministres et non de l’Assemblée Nationale comme c’était le cas au mois de février 2016.


Les élections comme moyen de sortie de la crise


Depuis les événements de juillet 2018 et le dysfonctionnement du parlement en janvier 2020, le pays est traversé par l’une des plus longues et des plus graves crises politiques de son histoire. Toutes les institutions sont en lambeau. Les principaux responsables des pouvoirs d’Etat autant que les acteurs de l’opposition politique ne jouissent d’aucune crédibilité et n’inspirent plus confiance à la population. L’incertitude politique qui s’est installée alimente un climat délétère et d’insécurité généralisée propice à toutes les aventures. Les appels au dialogue de la communauté internationale, des acteurs de la société civile et des secteurs religieux restent de vains mots pour les protagonistes. La lutte pour la conversation ou la prise du pouvoir, rien que pour assouvir des ambitions personnelles ou tirer les avantages qu’il procure, deviennent leur seule motivation.


La communauté internationale, en dépit de la polarisation de la situation politique et de la gravité de cette crise, ne jure que par la tenue, au plus vite, des élections législatives. C’est, à leurs yeux, la voie idéale pour sortir le pays de cet imbroglio politique et restaurer la gouvernance démocratique mise en veilleuse depuis janvier 2020. L’organisation régulière des compétitions électorales libres, démocratiques et inclusives demeure une exigence constitutionnelle que tout secteur et tout démocrate se devrait d’appuyer voire exiger pour le bien de la stabilité politique et institutionnelle du pays.


Cependant, personne ne peut contester les réserves et réticences des acteurs politiques de l’opposition et ceux de la société civile quant aux motivations de ceux voulant, à tout prix, des élections dans une atmosphère aussi délétère. Le manque de transparence entourant l’émission des cartes d’identification nationale, les conditions dans lesquelles l’organisme électoral a été constitué, et les déclarations publiques du Président Moise, sont loin d’être des signaux incitatifs à l’organisation d’élections crédibles et démocratiques. En plusieurs occasions, en effet, il a eu à confesser, publiquement, que peu importe le moment où se tiennent ces élections, personne ne peut les ravir ou gagner face à son clan politique. Pour nombre de candidats se réclamant de l’opposition politique, le contexte politique actuel et la présence de Monsieur Moise à la tête de l’Etat sont des handicaps majeurs à la tenue de toutes compétitions élections libres et transparentes.


Un conseil électoral inconstitutionnel chargé d’organiser un referendum constitutionnel : le comble
La gouvernance par décret, priorisée Président Jovenel Moise, depuis le dysfonctionnement, le 13 janvier 2020, du Parlement n’a pas fait l’unanimité au niveau de ses principaux supporteurs internationaux. La plupart de ces décrets constituent non seulement une menace pour les droits et libertés des citoyens, mais encore, remettent en question le caractère démocratique et républicain de l’Etat d’Haïti. Leurs prises de position, depuis, tournent autour de l’urgence des élections législatives pour la restauration de la gouvernance démocratique. Le Secrétaire général de l’Organisation des Etat Américains, Monsieur Luis Armago avait, dans une correspondance adressée au Président, fixé au 31 janvier 2021, la date limite pour la tenue de ces élections.


Le Président Moise, pour calmer ces pressions et exigences et masquer son jeu, a fait publier au Moniteur, Journal Officiel de la République, un arrêté présidentiel portant formation d’un nouveau Conseil électoral provisoire. Cet organisme constitué à l’initiative exclusive du Président ne répond à aucune disposition constitutionnelle. L’article 289, des dispositions transitoires de la constitution, a été malicieusement utilisé dans ce cas d’espèces.


Le Président Moise, a lui-même choisi les secteurs ou organisations devant designer des représentants audit Conseil. Tout compte fait, ce nouveau conseil électoral provisoire, dénoncé par tous les secteurs de la société, souffre d’un flagrant déficit de légalité et de légitimité. L’arrêté présidentiel portant sa formation lui confie, en outre, la charge de l’organisation d’un referendum constitutionnel. Aucun texte de loi, aucune disposition constitutionnelle n’a prévu ce cas de figure. Il n’a jamais été dans les attributions du Conseil électoral d’organiser un quelconque referendum, d’autant que cette forme de consultation populaire est formellement interdite par la constitution.


Cette monstrueuse décision de Monsieur Moise s’inscrit dans la droite ligne de ses actions visant la mise à sac des principales institutions démocratiques du pays. Elle est imposée en plein cœur d’une situation sociopolitique des plus délétères et caractérisée par des violations systématiques des libertés et des droits fondamentaux du peuple. Il poursuit son effort dans le mal méconnaissant et la culture en la matière et plus encore l’Histoire et les causes de nos malheurs. Que l’on se rappelle le stratagème de M. François Duvalier pour changer la constitution en vue de s’installer définitivement à la tête de l’État et ceci, par voie référendaire mais, à la vérité, par la corruption du système politique et le leurre démocratique. Par rapport à ces faits, certains questionnements deviennent plus que légitimes.


Comment convaincre des candidats se réclamant de l’opposition au gouvernement de participer à des élections quand tous les signaux reçus du pouvoir indiquent qu’elles ne seraient ni crédibles, ni transparentes et ni équitables ? 
La priorité est pour les élections législatives. Par contre, le comportement affiché par nombre de parlementaires, au cours des dernières années, n’encourage pas une participation suffisante de la population aux compétitions électorales. Une aversion grandissante semble, de plus en plus, se développer contre les élus du parlement.


En effet, le parlement haïtien, pour nombre d’acteurs politiques et de secteurs de la société civile et dans le cadre des élections annoncées, risque de se transformer en repères de bandits, d’affairistes et de criminels de tous bords. Les scandales de versement de fortes sommes d’argent, sous forme de pots-de-vin, à des parlementaires en échange de leur vote et l’association malsaine des noms de certains d’entre eux dans des activités criminelles (enlèvement, trafics illicites de stupéfiants), ont fini par ruiner le peu de confiance de la population vis-à-vis de cette institution.


Il faut aussi admettre que de législature en législature, le Parlement s’était totalement discrédité et son opportunité questionnée. En effet, le pouvoir législatif, dans son fonctionnement actuel, est loin d’être ce contre-pouvoir que la population s’était donné pour contrer la toute-puissance du pouvoir exécutif. Donc, cette détérioration de l’image du Parlement et des parlementaires, au cours des dernières années, invite à la réflexion.


Parlementaires et abus de fonction au nom de la Constitution. Le Parlement dans son fonctionnement actuel est la traduction de cette expression chère aux tenants de l’État de droit : « tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser ». Le régime mi- présidentiel mi- parlementaire institué par la Constitution a fait du Parlement un monstre par l’étendue de ses pouvoirs. Le Parlement haïtien, en plus de ses missions classiques de légiférer et de contrôler l’action gouvernementale communes à tous les parlements du monde, dispose de très importants leviers pour influencer dans un sens ou dans un autre la vie politique du pays.


Les élus des quatre dernières législatures, à la recherche constante d’une visibilité politique sur le terrain, se sont ostensiblement travestis, au détriment de leurs fonctions statutaires, en agents de développement. Cette nouvelle compétence, non prévue par aucune disposition constitutionnelle ou légale, les conduit, à longueur de journée, à sillonner les couloirs des différents ministères pour déposer des requêtes de financement. Ainsi se retrouvent-ils en pleine compétition avec les représentants de l’administration centrale et les organes exécutifs des collectivités territoriales, engagés dans des activités de production de biens et de services, de construction d’infrastructures et d’exécution de projets dans leurs circonscriptions respectives.


Cette déviation de leurs attributions régulières est source de toute forme de marchandage politique, de corruption et d’enrichissement illicite. Le vote des lois, l’approbation de certains actes et décisions ou encore l’appui d’une majorité au gouvernement sont négociés quand ils ne sont pas, tout simplement, assortis de viles conditions. La reddition de comptes, à laquelle sont astreints les membres du gouvernement, relève de la compétence du Parlement dans l’exercice de son pouvoir de contrôle. L’objectif d’une saine gestion de la chose publique, voulu par les constituants, de ceux qui ont eu à assumer la responsabilité est galvaudé. Le Parlement en a fait un instrument de répression ou de barrages politiques, contre d’éventuels candidats. Les élections à venir doivent être un choix entre la persistance de la crise politique ou un engagement irréversible sur la voie de la stabilité politique.


Jocelerme PRIVERT
57e Président de la République
Février 2021

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