Jocelerme Privert

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À la 36e session ordinaire du groupe parlementaire des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique-Union Européenne (ACP-UE), tenue en novembre 2014 à Strasbourg en France, j’ai évoqué l’imminence d’un vide institutionnel en Haïti. Elle s’est effectivement produite le 12 janvier 2015, avec le dysfonctionnement du Parlement. À cette date, en effet, le mandat de la totalité des membres de la Chambre des députés et celui d’un autre tiers du Sénat de la République arrivaient à leur terme. Les élections en vue du renouvellement de leurs membres, n’ont pas été tenues. De ce fait, le pouvoir législatif est réduit à seulement dix sénateurs sur trente. Les mandats des différents organes des collectivités territoriales n’ont pas été renouvelés. Le président de la République, seul maître à bord, en a profité pour s’octroyer des prérogatives législatives que la Constitution ne lui reconnaît pourtant pas.


Ce vide institutionnel, intentionnellement provoqué, n’est pas sans conséquences sur le principe de la séparation des pouvoirs. Bien plus, il représente une vraie menace pour les acquis démocratiques engrangés depuis la chute de la dictature et pour la stabilité politique et la légalité en général. Les dix sénateurs en fonction n’ont été ni consultés, ni associés aux grandes décisions engageant la vie nationale, contrairement aux engagements publics du Président Martelly. Cette annonce avait été faite dans le seul souci de rassurer les partenaires internationaux inquiets des risques de dérive démocratique.


Renvoi du Premier ministre Laurent Lamothe


Au dernier trimestre de l’année 2014, le président de la République a engagé des discussions avec certains acteurs politiques de l’opposition, dans l’objectif d’arriver à un dénouement à la crise politique qui s’est exacerbée. Ainsi, une commission présidentielle spéciale a été constituée. Les personnalités retenues pour en faire partie répondaient aux noms de Evans Paul, Gabriel Fortune, Reginald Boulos et de Monseigneur Ogé Beauvoir. Après une semaine de rencontres, discussions et de consultations, les commissaires se sont entendus pour recommander au Président la démission de son Premier Ministre comme seuls moyens d’apaiser les tensions et de trouver une réponse à la crise. On comprend bien qu’il s’agit d’une révolution de Palais. C’est d’ailleurs, un membre de cette même commission qui sera le grand bénéficiaire de la démission de Lamothe.


Ainsi, le Premier ministre Laurent Lamothe, contraint de présenter sa démission et celle de son gouvernement au Président de la République a été remplacé par Evans Paul figure Evans Paul, figure politique connue et membre de cette commission présidentielle. L’arrêté présidentiel, de circonstance, a été publié au journal officiel de la République le Moniteur le 26 décembre 2014.


Le nouveau Premier ministre a été immédiatement investi dans ses fonctions par le président de la République. L’équipe gouvernementale qu’il a formée, la troisième de l’ère Martelly, a été installée dans ses fonctions le 19 janvier 2015. La décision du président Martelly de nommer et de donner l’investiture à un nouveau gouvernement, sans la ratification du choix du Premier ministre et de sa déclaration de politique générale, est contraire aux dispositions de l’article 158 de la Constitution. Or cette étape sert de préalable à la publication de l’arrêté présidentiel nommant le Premier ministre et les membres de son cabinet ministériel. Le respect scrupuleux de cette procédure participe du principe de la séparation des pouvoirs, des exigences de la démocratie républicaine et de l’État de droit.


Sous l’empire de la Constitution de 1987, Evans Paul est devenu le tout premier Premier ministre à avoir été nommé et installé dans ses fonctions en dehors de la ratification du parlement de son choix et de sa déclaration de politique générale. Son gouvernement a toujours souffert d’un flagrant déficit de légitimité du fait qu’il n’a jamais été investi de la confiance des deux Chambres comme l’exige la Constitution.


Impact de la crise politique sur la gouvernance


Le dysfonctionnement du Parlement et le caractère illégitime du nouveau gouvernement renforcent le vide institutionnel, rendant du même coup la situation politique encore plus complexe. Les conditions prévues par la Constitution pour le renouvellement des mandats ou la nomination des dirigeants des principales institutions républicaines, deviennent tout simplement ignorées au profit d’un pouvoir personnel de plus en plus inquiétant.


Le pouvoir judiciaire


Certaines des nominations effectuées par le Président Martelly pour nantir la Cour de cassation, étaient entachées d’irrégularités. En tout premier lieu, le cas de Maître Arnel Alexis Joseph, nommé président de cette cour et, par voie de conséquence, de celui du premier président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). Ensuite viennent les nominations de trois autres magistrats, en dehors des procédures prévues par la Constitution. Le Sénat qui jouit du privilège de proposer à l’exécutif la liste des personnes retenues pour être nommées aux postes de juges de la plus haute instance judiciaire du pays, avait publiquement dénoncé ces nominations. À cette fin, une résolution a été votée à l’unanimité par l’Assemblée des sénateurs. Le renvoi de ces magistrats à la désignation douteuse, donc contestée, figurait en priorité au menu des négociations politiques pour une sortie de crise, engagées par le grand corps avec l’exécutif, au mois de décembre 2014.


L’effectif de la plus haute juridiction judiciaire du pays, avec la fin du mandat de certains magistrats et le départ à la retraite de Maître Arnel Alexis Joseph, a été réduit à cinq juges sur douze. La Cour de cassation était donc frappée de dysfonctionnement. Les droits des justiciables à exercer des recours contre certaines décisions de justice prises à leur encontre, étaient de ce fait hypothéqués.
Impact de la crise institutionnelle sur la stabilité macroéconomique et financière.


Stabilité macroéconomique


La situation d’incertitude créée par ce vide institutionnel et l’instabilité politique qu’elle fait craindre ne sont pas sans conséquence sur la stabilité macroéconomique. Les informations relayées dans les médias au cours des derniers mois de l’année 2014, témoignent d’une nette détérioration de la situation économique du pays. La position affichée par les principaux indicateurs est alarmante : faiblesse du taux de croissance du PIB, déficit budgétaire accru, dépréciation accélérée de la monnaie nationale, aggravation du chômage et de l’inflation, risque d’émeutes de la faim suite à une insécurité alimentaire déclarée, alors qu’elle affecte déjà une frange importante de la population.


Le taux de croissance, actuellement situé aux alentours de 1 à 1,5 %, est nettement insuffisant pour extraire le pays du cycle de la pauvreté, d’autant que le taux de croissance de la population dépasse les 2 % ! Dès lors, une croissance vigoureuse sur une longue période est indispensable. Une simulation basée sur des données récentes révèle que, pour un doublement du PIB per capita en 2030, le taux de croissance minimal requis doit se situer entre 5 et 10 %. Il ne saurait, en aucune façon, être inférieur à 5 %. Le PIB per capita actuel est de huit cent soixante dollars américains. À ceci s’ajoute que l’épargne nationale est de très loin insuffisante pour répondre aux besoins d’investissements nécessaires pour soutenir une telle croissance. Sans un retour à la stabilité politique et à la normalité institutionnelle, les investissements étrangers directs indispensables à la matérialisation de cet objectif ne seront pas au rendez-vous. Le rêve légitime des autorités de faire d’Haïti un pays émergeant à l’horizon 2030, exige ce minimum, sinon il est compromis.

Stabilité financière


La stabilité financière est une des conditions essentielles à la stabilité macroéconomique. L’atteinte d’un tel objectif ne peut être garantie qu’à travers une Banque Centrale, jouissant légalement et dans les faits d’une autonomie effective, pour la détermination et la conduite de la politique monétaire. La Constitution haïtienne de 1987, en ses articles 224 et 225, confie à la Banque de la République d’Haïti, en son statut de Banque centrale cette fonction. Le Conseil d’administration de la Banque centrale est soumis à la ratification préalable du Sénat de la République avant la publication de l’arrêté présidentiel portant sa nomination.


Il en est de même de celui de la Banque nationale de Crédit qui exerce les attributions de banque commerciale d’Etat. Cette institution financière, avec ses structures déconcentrées dans les principales régions du pays, remplit pour le compte de la Banque centrale les fonctions de Trésorier de l’Etat.
En effet, les conseils d’administration approuvés par le Sénat, en septembre 2011 pour présider aux destinées de ces deux importantes institutions financières, ont terminé leur mandat de trois ans, à compter de la fin du mois de septembre 2014. Le président Martelly, ignorant royalement les exigences constitutionnelles qui s’y rapportent, a décidé de propos délibéré de ne pas designer un nouveau Conseil ou encire de solliciter la ratification de celui en fonction. Il les a maintenus, ad intérim, en poste jusqu’au départ en janvier 2015 du deuxième tiers du Sénat.


Ainsi, aucune décision ne pourrait être prise pour renouveler de leur mandat périmé depuis le 30 septembre 2014. Ce déclin entraîne une situation dangereuse pour la gouvernance financière du pays. Dans ses attributions de banque centrale, la Banque de la République d’Haïti (BRH) est l’autorité de régulation s’étendant sur l’ensemble du territoire haïtien et il représente notre système économique tant sur le plan régional que sur le plan international.

Deux considérations sont à analyser, l’une est juridique, l’autre est financière et monétaire.

Considérations d’ordre juridique
Sans un renouvellement en bonne et due forme des différents mandats en cause, ces conseils d’administration n’ont pas la capacité d’engager leurs institutions sur de nouvelles initiatives. Le champ de leur action se trouve limité et doit être encadré.


Considération financière et monétaire


La première conséquence de la caducité desdits conseils est l’absence de légitimité pour exercer une autorité sur le secteur économique et financier. Cette carence affecte la confiance dans le système tant des institutions financières publiques que privées. Ce qui aboutit, finalement, à affecter la confiance de la population dans le système financier.

Perspectives encourageantes


Les autorités ont arrêté trois décisions cruciales dans la perspective d’une normalisation future de la situation. Il s’agit de la publication du cadre légal indispensable à l’organisation des élections, du calendrier électoral et d’un décret présidentiel convoquant le peuple en des comices pour les 9 août, 25 octobre et 27 décembre 2015. Ces joutes électorales devront permettre le renouvellement du personnel politique aux différents niveaux de l’appareil d’État. Elles seront engagées pour : l’élection d’un nouveau président de la République, pour les deux tiers du Sénat, et pour la totalité des membres de la Chambre des députés et tous les organes des trois niveaux de collectivités territoriales.


Dès le deuxième lundi de janvier 2016, l’exécution de ce calendrier et le respect scrupuleux des échéanciers prévus devront permettre une normalisation de la situation par l’ouverture de la première session ordinaire de l’année législative et l’installation d’un nouveau président de la République, le 7 février 2016 ; et ce, conformément aux prescrits de la Constitution.
L’Assemblée des parlementaires ACP, en support aux préoccupations légitimes exprimées par les différentes interventions qui ont suivi cette présentation avait adopté une déclaration portant le titre « Pour la sauvegarde de la démocratie en Haïti ».

Bruxelles, Belgique, juin 2015
Jocelerme Privert, sénateur de la République.

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